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Lucha libre de cholitas à La Paz : rencontre avec Elizabeth La Roba Corazones

  • Photo du rédacteur: Blogoculaire
    Blogoculaire
  • il y a 1 jour
  • 9 min de lecture



Rosita la maldita entrant sur scène en dansant avec le public

Elizabeth La Roba Corazones luttant férocement contre son adversaire Benita la Intocable (Benita l'intouchable)

Intro

Ayant découvert la discipline de lucha libre de cholitas  en préparant mon voyage, j’ai voulu en savoir + et rencontrer, interviewer et photographier l’une de ses héroïnes pendant mon périple. C’est donc très rapidement que je suis tombée sur le profil d’Elizabeth La Roba Corazon (Veronica de son vrai nom), l’une des + grandes championnes de la discipline, sur Instagram. Je l’ai contactée en lui indiquant mon intérêt pour la rencontrer, et elle s’est montrée immédiatement enthousiaste et sympathique !


Puis, j’avais failli tout gâcher : fin janvier 2025, on devait se rencontrer lors de mon premier passage à La Paz. Mais arrivée en avion depuis Buenos Aires la veille au soir, le soroche (mal de l’altitude, fréquent dans les Andes) m’a affectée comme jamais pendant + de 24 heures dans la capitale la + haute du monde… Version énorme mal de crâne, et sans aucun souffle ni énergie.

J’avais donc annulé au dernier moment ce rendez-vous. D’autant qu’après notre interview, le plan était que j’aille voir Elizabeth monter sur le ring à El Alto, la ville où tous les combats ont lieu, et qui porte bien son nom puisque cette ancienne « banlieue » de La Paz (aujourd’hui peuplée de près d’1 million d’habitants) est perchée à 4150m d’altitude…

Elle m’en avait voulu, d’autant qu’elle s’était organisée pour cette interview, faisant garder sa fille par sa mère, et faisant en sorte d’arriver à l’heure au lieu de notre rdv, pour faire taire la réputation des latinos de ne pas être ponctuels (m’a-t-elle dit ensuite), n’ayant pas eu mon message… je m’en mordais les doigts !


Après m’être confondue, en excuses, j’ai réussi à me faire pardonner, et la rencontre a enfin pu avoir lieu fin février 2025, dans un chaleureux café de La Paz ! Puis je l’ai retrouvée 2 jours après pour la photographier sur le chemin vers El Alto, et sur « scène » au Cholet où le combat avait lieu.


L’article qui suit est donc basé sur l’interview d’Elizabeth, mes recherches sur le sujet. Les photos étant celles que j’ai prises lors du show au Cholet.

 



Qui sont les cholitas ?

Ce sont les femmes indigènes souvent d’origine aymara ou quechua, que l’on rencontre notamment au Pérou et probablement encore + en Bolivie, dans l'altiplano andin.


Ces femmes ont par le passé (sont ?) souvent, malheureusement, été méprisées, discriminées. Parce que bien souvent pauvres, souvent venant de zones rurales en ville pour vivre de ce qu’elles arrivent à vendre, souvent ne parlant pas bien l’espagnol, ne sachant pas forcément lire ou écrire. Souvent employées comme domestiques au service de l’aristrocratie des occupants espagnols.

Leurs vêtements types : une jupe épaisse et volumineuse, un chapeau melon, un châle brodé, de long cheveux raides et noir coiffés en tresse (reliées souvent par des tullmas), et souvent des dents dorées ou argentées.

Devenus des symboles des cholitas, alors qu’ironie du sort : il s’agissait initialement de vêtements amenés par les colones espagnols J

Avec bien sûr de nombreuses variantes selon les régions : les jupes sont logiquement + courtes dans les zones les + chaudes comme vers Santa Cruz ou Cochabamba, les chapeaux changent de forme, les tissus de couleur, selon le savoir-faire de chaque région etc…

La mère d’Elizabeth ne s’habillait d’ailleurs pas comme une cholita (pour échapper à ces discriminations ?), mais sa grand-mère si.





 

Depuis les années 2000, les cholitas prennent petit à petit le pouvoir

On raconte qu’avant, beaucoup de lieux leur étaient interdits : les banques, certaines places, les avions (ou alors elles devaient s’habiller de manière différente). Leur image de domestiques / bonnes leur collaient à la peau.


Les cholitas ont toujours été malgré tout des femmes fortes. Faisant face à l’adversité et à leurs conditions difficiles avec ténacité et courage. Loin de l’image très machiste de la femme douce, obéissante, précieuse, fragile.


Selon Elizabeth, la situation a s’améliorer pour les cholitas boliviennes à partir de la guerre du gaz (lutte sociale initiée dès 2003 pour nationaliser le gaz bolivien découvert au milieu des années 90 dans le département de Tarija, au Sud du pays, et ayant abouti à de nombreux morts notamment dans la ville d’El Alto fin 2003 suite à une répression militaire, mais ayant abouti en 2006 à la nationalisation effective), puis à l’élection en tant que président de Bolivie d’ Evo Morales (président de 2006 à 2019)

Etant lui-même indigène aymara, Evo Morales a été en effet largement élu par les populations indigènes et reste globalement très apprécié d’eux.

A tort ou à raison, puisqu’il divise aujourd’hui profondément les Boliviens, notamment car il est accusé (et cela semble malheureusement largement prouvé) d’avoir abusé d’au moins 3 mineures de moins de 15 ans lorsqu’il était Président. Des mineures souvent d’origine très modeste, issues justement des populations qu’il était censé défendre… Et dans des conditions particulièrement sordides…


Depuis, les « mujeres de pollera » (les femmes à jupe) comme on les appelle aussi ont petit à petit accédé à une visibilité et des fonctions qui leur étaient jusqu’ici quasi inaccessibles : tantôt au gouvernement, en tant que Ministre (c’est par exemple le cas de l’actuelle Ministre de la Culture), présentatrices TV, chanteuses.


Dans un pays où les femmes sont (beaucoup trop souvent) victimes de violences conjugales (le pays étant l’un des pires en la matière), et où les cholitas ont été trop souvent opprimées et discriminées, le fait d'occuper le terrain de disciplines sportives traditionnellement exclusivement masculines est bien sûr une manière pour elles de prendre le pouvoir et de s’affirmer.


Et c’est dans ce contexte que les cholitas ont infiltré des disciplines comme le football.

Ou le skate (cf le collectif Imilla Skate des cholitas skateuses de Cochabamba, dont j’ai eu la chance d’interviewer Deisy Tacuri lors de mon passage à Cochabamba début mars 2025, article à venir très prochainement!!)


Et bien sûr la lucha libre dont il est question ici ;)


En parallèle, et ce n’est pas forcément contradictoire, les cholitas adoptent des « codes » + féminins : elles se maquillent, se parfument, mettent des bijoux…




 

Origines et débuts de la lucha libre de cholitas

La discipline, née au début des années 2000, dans la ville d’El Alto (ancienne banlieue dortoir de la Paz où arrivaient la plupart des indigène aymaras des campagnes boliviennes, devenue ville à part entière) est directement inspirée de la lucha libre mexicaine (qui elle-même dérive du catch) pour son côté théâtral / exagéré et acrobatique.


Sauf que les « luchadoras » sont rarement masquées, et qu’elles sont habillées en tenue traditionnelle de cholita pour combattre (avec notamment la fameuse pollera (jupe) et les jupons !

Autre spécificité : un combat se fait toujours entre un personnage de « gentille » contre une « méchante ».


C’est à partir de 2005 environ que la discipline s’est démocratisée, notamment à partir du moment où les lutteuses ont décidé d’utiliser des pseudos - « Juanita la cariñosa » (Juanita la câline) et Claudina la maldita (Claudine la maudite) – les 2 lutteuses historiques.


 

Une discipline qui n’est pas encore l'Eldorado

Avant le Covid, Elizabeth arrivait à gagner sa vie uniquement de son activité de luchadora.


Ensuite, elle a arrêté pendant plusieurs années, notamment pour faire le deuil suite au décès de son père faisant suite à une maladie et de nombreuses opérations.


Elle n’a repris que fin 2023, avec en général 2 combats par semaine, chaque jeudi et dimanche à El Alto. Sans compter les shows privés où elle participe parfois pour des gens ayant beaucoup d’argent souhaitant voir un show mais n’étant pas dispo aux dates des shows publics. Ou des évènements comme l’Electro Preste, un grand festival fusion mêlant musiques électroniques et traditions indigènes (ch’allas, cholitas, …) organisé à La Paz, où elle a été invitée en 2025.


Sachant que pour rester au sommet, Elizabeth s’entraîne aussi 3 fois par semaine, de 14h à 20h…Comme dans la lucha libre, les coups sont réels, et le plus important est de s'entraîner régulièrement, de savoir bien tomber, bien respirer en tombant, etc


Mais malheureusement depuis le Covid, elle a dû trouver un autre travail pour s’en sortir. Elle travaille désormais en tant qu'employée dans le secteur public.


Et elle vit actuellement avec sa mère, sa fille de 8 ans (Isabella) et sa sœur de 30 ans. (à noter qu’il est fréquent, en Amérique Latine, que des personnes de plusieurs générations d’une même famille vivent sous le même toit, la solidarité inter générationnelle étant largement + développée là bas – et les difficultés financières étant malheureusement encore + fréquentes également)

 

Voyage, voyage…

Son défunt père a été très moteur dans sa carrière de luchadora et l’a beaucoup soutenue, en lui inculquant l’importance de l’entrainement et la discipline. Et un des proches de la famille était justement Benjamin, l’un des principaux promoteurs de lucha libre en Bolivie, organisant les combats avec Cholita Wrestling Show.


Comme elle a toujours été sportive (elle pratiquait le basket, le volley et la natation), tout s’est donc ensuite déroulé assez naturellement.


Elle est ainsi devenue championne féminine de la NWA (National Wrestling Association) en 2019 et a aussi été Cholita de Oro en 2024.


Mais ce qui a vraiment motivé Elizabeth à exceller dans cette discipline, c’était l’envie de voyager dans d’autres pays.


Elle a ainsi eu la chance, en 2009, de voyager en Colombie. Et aussi en Equateur, aux Etats Unis, et au Pérou, à Lima : son meilleur souvenir est d’ailleurs d’y avoir vu la mer pour la première fois de sa vie.


Pour rappel, la Bolivie n’a pas de mer, le pays ayant perdu ses 400 km de côte lors de la guerre du Pacifique de 1879-1883 contre le Chili… ce qui est encore une blessure largement palpable dans le pays, où il y a même el dia del Mar célébré chaque année le 23  mars avec notamment d’importants défilés militaires à La Paz.

 

Mexicans do it better

On sent bien que le Mexique, pays ayant crée la lucha libre dont s’inspirer fortement les cholitas luchadoras reste une influence forte pour Elizabeth.


Son meilleur souvenir, c’est au Coliseo Cerrado, une des + grandes arènes du centre de la Paz, où les cholitas luttaient contre des luchadores mexicains, et où elles avaient été acclamées par le public et la presse.

La luchadora qu’elle admire le + : encore une mexicaine, Faby Apache.

Son rêve, ce serait de voyager au Mexique pour rencontrer et combattre contre les champions de lucha libre mexicaine.

Elle aimerait également beaucoup découvrir le Japon, autre pays très important dans le monde du catch et de la lucha libre, et réputé pour ses adeptes d’une discipline a priori assez brutale et extrême.

Une grande fierté d’Elizabeth (et de sa famille !) c’est enfin d’avoir joué dans une célèbre narco telenovela mexicaine, La Reina del Sur.

 

Alors, prêts à assister à un show lors de votre passage en Bolivie ?

 

Infos pratiques pour assister à un show

Tous les shows ont lieu à El Alto, selon le calendrier suivant :

-        Les jeudi, de 17h au Cholet Rachel (majoritairement dédiés aux étrangers)

-        Les dimanche, au Coliseo 12 de Octubre à La Paz à 16h30 (avec un public mêlant locaux et touristes étrangers)


Les shows durent environ 2h et sont toujours structurés en 4 sessions :

-        Une 1ère session avec des hommes (plutôt de la lucha libre classique)

-        3 sessions de femmes d’une vingtaine de minutes chacune (en mode cholitas luchadoras)


Compte tenu de la popularité croissante des cholitas luchadoras, les billets peuvent être achetés via des agences de tourisme sous forme de package (entrée – incluant conso et goodies - et aller / retour en bus depuis votre logement de La Paz, pour un prix de 15-20 euros)

 

Pour un peu + d’authencité et une expérience originale, je vous recommande de contacter Elizabeth (sur Whatsapp au +591 76 72 83 50), qui propose désormais ses services de guide touristique.


Une manière originale de découvrir la ville et la discipline !

Et de manière générale :

-        d’assister aux shows du dimanche (pour ne pas être qu’entre touristes)

-        d’y aller par vos propres moyens (le teleferico est tellement agréable en +) en en profitant pour vous promener un peu dans la ville d’ El Alto avant si possible, pour y voir notamment :


o   les cholets (contraction de chalet + cholo), ces immeubles typiques de la ville, colorés et bien kitschs, symboles de l’ascension sociale des aymaras


o   la fameuse Feria 16 de Julio, gigantesque marché en plein air - l’un des + gros de toute l’Amérique Latine - vendant à peu près tout (des vêtements d’occasion parfois bien spécifique genre « manteaux coréens » à des pièces détachées de voitures en passant par des fœtus de lama pour des cérémonies ou des films pirates, des pièces d’ordinateurs…) – ça vaut vraiment le détour !




Pour finir, pour l’anecdote, Elizabeth m’avait justement prévenu que quelques semaines après notre rencontre, des compatriotes allaient enregistrer un sujet sur elle… c’étaient d’ailleurs des collègues d’Envoyé Spécial !

Pour visionner le replay, c'est ici, à partir de 1h29 min :

Sources / Pour aller + loin :

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