La Feria de las Alasitas à La Paz : des milliers de miniatures pour une grande fête
- Blogoculaire
- 19 avr.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 mai
La Feria de las Alasitas : qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit d’une fête ancestrale populaire bolivienne organisée depuis + d’un siècle, qui a lieu chaque année à la Paz. On y achète des miniatures d’objets (icônes et amulettes) représentant ce qu’on souhaite obtenir dans l’année. Cette fête a pour dieu l’Ekeko, Dieu de l’abondance et de la prospérité, grâce à qui ces miniatures / voeux peuvent devenir réalité.
Inaugurée chaque année le 24 janvier à midi et d'une durée d'environ un mois, elle a été reconnue en 2017 par l’UNESCO comme Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité, en tant qu’expression vive des croyances et traditions andines.
Initialement née à La Paz, organisée depuis de nombreuses années au Parc Urbain Central de la ville, elle a essaimé dans d’autres villes de Bolivie (Urkupiña, à Cochabamba) mais aussi d’Amérique latine du fait de l’émigration bolivienne (Puno, Buenos Aires ou encore Sao Paolo)
Si vous êtes à la Paz le 24 janvier ou les semaines suivantes, foncez-y : ça vaut vraiment le détour, pour flâner et regarder les adorables objets miniatures et l'imagination des artisans, ou pour vous laisser prendre au jeu et acheter à votre tour une miniature dans l'espoir que vos voeux soient exaucés!
L’article et les photos sont basés sur la feria de la Paz, à laquelle j’ai eu la chance d’assister début février 2025
Quels objets trouve-t-on à la Feria ?
A la feria des Alasitas, on trouve 3 catégories d’objet, censés apporter prospérité et abondance, et illustrant ce que l’on souhaite se réaliser dans l’année :
- des icônes, représentation miniatures de l’objet souhaité et ce qui s’apparente le + au concept andin des illas
Exemples : un diplôme miniature, un écran TV, une voiture, une maison…
Cette catégorie évolue et vient s’enrichir chaque année de nouveaux objets, au gré des modes, des innovations etc
- Des amulettes, représentant + indirectement ce qu’on souhaite obtenir
Exemples : un hibou pour l’intelligence, une grenouille pour la fertilité, un porc pour la richesse, un taureau pour la force, un coq / poule pour l’amour…
Cette catégorie d’objets évolue peu avec le temps.
- l’Ekeko lui-même est souvent présent dans les foyers boliviens, à qui on offre les miniatures, qu'on fait boire et fumer, à qui on offre des feuilles de coca et autres lors des cérémonies de la ch’alla… et qui traverse les frontières grâce à l’émigration bolivienne et la globalisation, en trouvant des équivalents dans d’autres cultures
Voici les principales catégories d’objets de type ‘icônes’ miniature qu’on peut y trouver :
Des aliments (pains et produits de 1ère nécessité du panier familial) comme des céréales, huile, sucre, thé etc aux couleurs des marques nationales ou internationales (Kellog's...)
Des (faux) billets, : Bolivianos (ou pesos bolivianos, terme encore utilisé pour désigner la monnaie locale bien qu'elle ait changé de nom depuis longtemps) mais aussi dollars et euros (séquence humour noir : étonnamment, pas de peso argentin, dont la valeur se dévalue chaque minute... )
Des maisons
Comme ces objets sont le reflet des évolutions de la vie, on voit fleurir depuis le début des années 2000 de nombreux cholets miniatures, bâtiments de style néoandin démocratisés notamment par l’architecte Freddy Mamani, situés dans la ville d’El Alto (ville voisine de la Paz situé dans les hauteurs), propriétés de la bourgeoisie aymara, et inspirés des textiles aymaras et de Tiwanaku. Ces bâtiments de plusieurs étages ont souvent aux étages inférieurs des boutiques, salles de réception et galeries commerçantes (le logement étant pensé non seulement comme lieu de vie mais comme source de revenu), et aux étages supérieurs les logements. Le terme cholet vient de contraction de chalet et cholo (désignant initialement un métisse aux origines européano-indigène d’où a ensuite été d’ailleurs dérivé son diminutif féminin, cholita)
Des voitures et moyens de transport (bus, combi), souvent aux couleurs des compagnies de bus boliviennes (ex : Trans Copacabana, l'une des meilleures entreprises de bus nationales)
Et même (il parait, je n'ai pas eu la chance de les voir) des cabines de téléphérique suite à son déploiement en 2014 pour relier notamment la Paz à El Alto et comptant aujourd’hui 10 lignes, 36 stations et pouvant transporter jusqu’à 600 000 personnes par jour !
Des vêtements miniatures (petits chapeaux, petites chaussures…comme des vêtements pour Ken & Barbie) y compris des costumes de carnaval type masques de la Diablada ou Morenada
Des diplômes et titres professionnels, titres de propriété ou autres documents Exemples : certificat de mariage, de naissance, titres de propriété de maison ou automobile, permis de conduire
Logiquement là encore compte tenu des flux migratoires, les Green Card et les Cartes de Résidence Espagnole fleurissent aussi semble-t-il
Ainsi que les permis de conduire (autant vous dire qu’après le fiasco du passage de Permis en France juste avant mon permis, c’est la 1ère miniature que j’ai acheté aux Alasitas !!)
Des « boutiques » / commerces, rappelant un peu l’artisanat mexicain avec les vitrines représentant les calaveres (squelettes) dans des scènes du quotidien de différentes professions (dentiste, coiffeur, médecin, musicien…), avec forces détails
Des objets «hi-tech » de type TV, pc portables, smartphones…
A noter qu’il existe plusieurs artisans réalisant leurs objets en plomb, héritiers des soldats de plomb allemands, qui via des moules en silicone et du plomb (ensuite vidé), réalisent de très nombreux objets, comme des ordinateurs portables, des téléphones portables etc, et qui chaque année innovent pour la Feria des Alasitas, l’innovation étant partie intégrante de la feria, qui chaque année propose de nouveaux objets.
L’Ekeko, le dieu de l’Abondance honoré pendant la Feria
Ce personnage aux traits indigènes, bossu et ventru, aux jambes et bras courts, et aux habits indigènes aurait probablement pour origine Tunupa, divinité andine considérée comme le dieu du volcan et de la foudre. Il est chargé d’objets à la fois traditionnels et modernes, représentant la base de la consommation et des souhaits des aymaras vivant en ville.
Son attitude sarcastique, illustrée par un sourire radieux, une moustache et une bouche ouverte, laisse entendre qu’il est ouvert à l’échange avec ses dévots qui souhaiteraient acquérir la taille réelle des miniatures dont il est chargé - et + concrètement prêt à fumer les cigarettes qu’on va lui offrir et lui mettre dans la bouche. On l’honore en général notamment les mardi et vendredi, considérés comme les jours maléfiques.
Le 24 janvier : inauguration et jour-clé pour la Feria des Alasitas
Initialement célébrée le 20 octobre (jour de l'anniversaire de la création de la ville de la Paz, en 1548) , elle aurait été déplacée en 1781 par les Espagnols au 24 janvier pour tomber le même jour que la fête en l'honneur de Notre-Dame de la Paix, la Sainte Patronne de la ville de la Paz, pour rendre hommage à cette Sainte grâce à qui (selon eux hein...) les Espagnols auraient vaincu l'indigène Tupac Katari et ses hommes à la suite de leur insurrection contre l'oppresseur espagnol lors du Siège de la ville de la Paz.
Depuis, chaque 24 janvier à midi pile, on achète les miniatures des objets que l’on souhaite se voir concrétiser dans l’année à venir, sur toutes les places de la ville de la Paz, notamment la place principale (Plaza Murillo), mais aussi dans diverses églises et places de la ville (San Pedro, San Francisco), ainsi que dans le parc Urbano Central (où trône une sculpture géante de l'Ekeko et lieu où les festivités se prolongent ensuite pendant le mois suivant)
Après les achats, 2 types de cérémonies (l'une "païenne" pré-colombienne et l'autre catholique) sont faites sur les miniatures, visant à les faire grandir, se reproduire, être fertiles :
- La Ch’alla, cérémonie andine indigène ancestrale et menée par les Yatiris (les chamanes andins) lors desquelles les miniatures sont aspergées d’alcool, de pétales de fleurs ou autre, des encens allumés et des prières en un mélange d’aymara et espagnol sont prononcées, afin de rendre ces miniatures aussi « fertiles » que possible. Ces ch’allas ont lieu sur les places de la ville contre rétribution (1-5 euro) envers le yatiri en charge. Cette cérémonie peut d’ailleurs aussi être adressée à l’Ekeko, à qui on offre alcool, nourriture et cigarettes.
- La bénédiction de la religion catholique, qui se fait quant à elle dans les églises, en aspergeant avec de l’eau bénite les produits achetés. A noter que, dans l’église, après la bénédiction, on peut également assister à des scènes symboliques de remboursements de dette avec de faux billets miniature.
Les origines de la Feria de las Alasitas?
Avant cette feria, existaient les Illas, des miniatures d’animaux (lamas, vaches...) et liées à la fertilité, que l’on trouvait très régulièrement dès les cultures préincas (dès 1800 avant JC). Elles étaient utilisées pour des cérémonies et offrandes (parfois funéraires) et enterrés au pied des wakas (lieux sacrés, souvent des montagnes ou lagunes), comme des graines, pour les faire devenir "taille réelle'.
Aujourd’hui encore, les Alasitas ne sont pas vues comme des représentations des objets mais comme les objets eux-même. Qui, grâce aux cérémonies (ch’allas) et bénédictions, ainsi qu’aux confettis, serpentins, mixtures et fleurs qu’on leur jette dans le cadre des cérémonies, vont pouvoir atteindre leur taille « adulte », en devenant l’objet convoité en tant que tel.
Quant au terme Alasitas, plusieurs hypothèses existent sur ses origines :
- En aymara, alasita veut dire "achète-moi" et est donc liée à une transaction commerciale
- Alaasitha signifie "laisser pousser" et serait liée à la fertilité
On y mange quoi?
A noter que la Feria de las Alasitas a aussi de nombreux espaces de restauration, où l'on peut déguster :
des plats miniature : spéciale dédicace notamment à ce stand de mini hot dogs dont les enfants raffolaient tant!
le Chocleso (contraction de Choclo = maïs et queso = fromage, du maïs au fromage) - bon j'avoue j'ai pas testé!
On peut bien sûr aussi y déguster des spécialités boliviennes + classiques que vous retrouverez dans tout le pays, comme (testé et approuvé)
le chicharron de cerdo (petits morceaux d'épaule de porc avec beaucoup de gras, frit dans sa propre graisse)
la salteña : empanada version bolivienne, à la pâte sucrée mais remplie de salé - viande, légumes et bouillon chaud la rendant difficile à manger sans s'en mettre partout (un peu comme les raviolis chinois Xiao Long Bao) - Pour la petite anecdote, les Boliviens disent pour plaisanter que si Squid Game avait été tourné en Bolivie, l'une des épreuves aurait été de manger la salteña sans s'en mettre partout... autant vous dire que j'aurais été vite éliminée!!
Mais aussi des plats bien carnivores pas forcément dans nos habitudes dirons-nous (de manière édulcorée... perso j'ai pas goûté du voyage!!)... et oui je parle par exemple de :
le cuy (cochon d'Inde... viande très commune, et réputée, dans les Andes, en Bolivie et au Pérou)
les anticuchos : brochettes de coeur de boeuf, là encore très populaire au Pérou également
et tous les autres plats et spécialités habituelles boliviennes...
Alors régalez-vous bien! (plutôt les yeux j'avoue) ;)
Sources / pour en savoir plus
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